
« Comment avez-vous vécu professionnellement la période qui vient de s’écouler ? » On pouvait s’en douter, les réponses à cette question diffèrent fortement. Notamment car travailler à la maison, ne rime souvent pas avec confort et équipement professionnel. Une récente enquête sur le ressenti des salariés menée dans 11 pays montre ainsi que seuls 12% des employés souhaitent aujourd’hui opter pour le télétravail tous les jours. 4% voudraient travailler en permanence au bureau, quand 36% désireraient travailler à distance trois jours par semaine, 32% deux jours et 9% quatre jours.
« Il est vrai que certains salariés ont trouvé dans la mise en place du télétravail un certain confort, avec un équilibre entre vies professionnelle et privée, et des gains en efficacité, explique Natalène Levieil. Mais majoritairement, ce que nous constatons, c’est une fatigue très importante, liée à la surconnexion et un rythme de travail qui s’intensifie ». Le baromètre de l’absentéisme annuel de Malakoff Humanis a ainsi souligné une forte croissance du nombre de salariés arrêtés en raison de troubles psychologiques depuis le début de la crise : Les arrêts maladie pour dépression, anxiété ou burn out sont passés de 9 % début 2020 à 14 % pendant le confinement, puis à 18 % lors du deuxième déconfinement.
Travail à distance dans la durée : de nouvelles exigences
Nous observons trois difficultés principales liées au travail à distance en continu. La première tient à la complexité de trouver le juste équilibre entre vies privée et professionnelle, en particulier quand on vit dans un espace restreint. La deuxième concerne la forte charge mentale pesant sur les salariés. Intégration du temps de transport au temps de travail, enchaînement des calls, absence de pauses hors de l’ordinateur… « Pour beaucoup, ces nouvelles contraintes se traduisent par le fait d’essayer de commencer plus tôt pour bénéficier de moments où l’on n’est pas dérangé, précise Natalène Levieil. Le résultat est une intensification notable du rythme de travail, avec une forte exigence intellectuelle comme émotionnelle. ».
Troisième phénomène, constaté notamment depuis le début de 2021 : une augmentation sensible du nombre de dossiers liés aux tensions dans les collectifs de travail. En effet, avec l’intensification du rythme et le travail à distance, certains prêtent moins attention à leur manière de s’exprimer à l’écrit. Ce qui a pour effet de fragiliser les relations de travail. Le résultat ? Des sources de tension apparaissent dans les équipes, sans pouvoir les désamorcer à la pause déjeuner ou la machine à café…
Face à ces risques, le salarié doit savoir réagir rapidement. Mais la prise de conscience n’est pas évidente. Alerte d’un proche (enfants, conjoint, ami…), troubles du sommeil, prise de poids, augmentation de la consommation d’alcool ou de café, signaux de fatigue, perte du sens de l’humour… Autant de symptômes potentiels d’un mal-être. Que faire en cas d’alerte ? « Il est essentiel de prendre le temps de se déconnecter, insiste Natalène Levieil. La déconnexion est un droit, souvent exercé de de manière autonome. Il faut l’utiliser, s’offrir le droit de couper réellement. Ne pas hésiter non plus alerter son manager dès cela ne va pas ».
Les défis d’une organisation hybride du travail
Aujourd’hui, à l’heure du déconfinement, une nouvelle étape se profile : la mise en place de modes de travail hybrides, avec une alternance entre travail à distance et présentiel au bureau. Ici encore, la perception des professionnels est très variable. Si certains se réjouissent de cette flexibilité des lieux de travail, de pouvoir se retrouver au bureau, même occasionnellement et d’avoir plus de liberté, d’autres ont peur de revenir sur site ou de perdre l’autonomie acquise en full télétravail. « Tout l’enjeu est de réussir cette organisation hybride du travail, explique la spécialiste. La clé pour les managers est de réaliser un retour d’expérience partagé, et ce, dans la durée ».
Avec le retour progressif au bureau, un autre défi sera de garder un management tourné vers la confiance et la responsabilisation des collaborateurs, alors que, depuis un an, beaucoup ont développé une forte autonomie à leur poste. « De cette période complexe, nous pouvons sortir collectivement quelque chose de positif. Mais il est indispensable pour cela de définir des bonnes pratiques dans l’organisation du travail, sur la déconnexion notamment. Nous avons une opportunité pour faire évoluer nos modes de fonctionnement. Il nous faut la saisir collectivement. »