Est-il possible de revenir à une gestion normale de son entreprise après une telle crise ?
A.M : Chaque entreprise est différente. Il s’agit donc d’une expérience personnelle. Il y a d’ailleurs des entreprises qui ont vu leur activité se développer depuis le début du confinement, bien que cela ne soit pas la tendance générale. La question est de savoir comment relancer son activité sur un marché probablement ralenti. La première étape est donc de faire le point : la demande des clients sera-t-elle identique ? Les fournisseurs seront-ils en capacité de reprendre leur activité au même rythme ? Probablement pas. Tous les collaborateurs pourront-ils reprendre leur poste ? C’est également une question essentielle, car la crise est vécue comme un événement sanitaire majeur. Beaucoup de salariés ressentiront un traumatisme et une angoisse à l’idée de revenir travailler. L’aspect social, humain, est en fait le plus important pour la reprise. Au milieu de tout cela, le chef d’entreprise doit garder la tête froide et envisager l’avenir en sachant qu’il tire une croix sur trois mois de chiffre d’affaires et de marges. Une équation difficile à résoudre.
Quelles sont les priorités, la feuille de route à respecter ?
A.M : Il est important de garder un lien direct avec les salariés. Aujourd’hui, nous voyons plus que jamais à quel point l’entreprise est un corps social important dans la vie des gens. Il est essentiel de partager avec eux les difficultés rencontrées, de faire des points d’étapes sur les actions menées, d’expliquer les perspectives. Le mot d’ordre est « transparence ». Mieux vaut éviter de dire que tout ira bien après le 11 mai si ce n’est pas le cas. L’honnêteté n’a jamais été aussi importante.
Cette crise est également un révélateur de faiblesses et une opportunité de les résoudre. Les entreprises fonctionnent au ralenti, c’est vrai, mais elles apprennent aussi à travailler autrement. Avec moins de moyens à disposition, avec des parcours client simplifiés et digitalisés, avec des outils digitaux et collaboratifs pour échanger en interne. Tous ces changements permettront d’aller de l’avant.
À cela s’ajoutent des réflexions plus profondes. La question de la chaîne de valeur est au cœur des priorités pour de nombreux secteurs d’activités. Beaucoup d’entreprises font aujourd’hui face à des difficultés d’approvisionnement. L’interdépendance de l’économie est une force mais aussi une faiblesse dans un cas de crise comme aujourd’hui. La question des approvisionnements en circuit court pourrait ainsi rapidement revenir dans le top des priorités. Tout comme la question de la diversification des fournisseurs ou encore de la rationalisation de la sous-traitance. Certaines entreprises ont dépoussiéré leurs machines pour assurer les commandes en produisant en France. Cela prouve que le savoir-faire est là. Dans tous les cas, il est essentiel de ne pas envisager la gestion des coûts comme du « cost killing » mais plutôt d’analyser les points-clés de la chaîne de valeur pour y investir. C’est une stratégie déterminante pour poursuivre une activité pérenne.
La crise a-t-elle fait émerger de nouveaux enjeux stratégiques pour les entreprises ?
A.M : On ne peut pas regarder la crise actuelle sans penser aux enjeux climatiques et de biodiversité. Il est évident que de grandes questions se posent, comme les modes de transport, le déploiement d’une réflexion RSE au sein de chaque entreprise. Si une entreprise souhaite s’engager dans une réflexion profonde pour repenser son business model, il est important d’impliquer les salariés dans cette démarche. Il n’y a pas de changement sans acteurs du changement. Le dialogue social est indispensable. D’autant que tout le monde n’arrivera pas sur la ligne d’arrivée. La compétition sera d’autant plus rude après le déconfinement. L’agilité et le sens de l’adaptation feront la différence.